La Stèle de la Famine: hiéroglyphe sur la construction des pyramides

Résumé de la Conférence
par Joseph Davidovits
Vè Congrès International d’Égyptologie, Le Caire, Egypte
29 octobre-3 Nov, 1988.

Les égyptologues ont longtemps prétendu qu’aucun texte n’existait décrivant comment les Pyramides ont été construites. Une pierre est gravée sur une roche sur l’île Sehel, près d’Éléphantine en Egypte, au nord d’Aswan. Elle a été découverte en 1889 par C.E. Wilbour et a été déchiffrée par les égyptlogues: Brugsch (1891), Pleyte (1891), Morgan (1894), Sethe (1901), Barguet (1953) et Lichtheim (1973). Cette stèle montre trois des caractères les plus renommés de la civilisation égyptienne :

  • Le pharaon Djoser, vers 2750 av. J.C., a construit la première pyramide, la Pyramide à degrés à Saqqara. Ce monument est utilisé pour illustrer l’invention de la construction en pierre.
  • Imhotep, le scribe et l’architecte de la pyramide de Djoser, qui a été honoré et déifié pour avoir inventé la construction en pierre.
  • Le Dieu Khnoum, le potier qui, comme dans la Bible, modèle les corps des hommes et des dieux avec la vase du Nil, l’argile, autrement dit en travaillant les minéraux.

Ce texte appelé Stèle de la Famine a été gravé à une époque récente, sous les Ptolémées (200 av. J.C.), mais certains indices fiables ont amener les égyptologues à croire que, dans une forme plus longue, le document authentique daterait du commencement du l’Ancien Empire (2750 av. J.C.).

Également, l’aspect le plus controversé de ce texte réside dans le fait que pour construire des temples, des pyramides et d’autres bâtiments sacrés, les instructions de Khnoum et les révélations d’Imhotep ne mentionnent pas de pierre de construction, comme la pierre calcaire ou des blocs de granit ou de grès. Ces matériaux ne sont pas trouvés dans la liste. Dans le rêve de Djoser (col. 19), Khnoum donne des minéraux et “depuis des temps anciens, personne n’a jamais travaillé avec eux (les minéraux) pour construire les temples de Dieux …”. Pour construire des monuments, on a donné à Djoser une liste de minéraux et des minerais dont les noms hiéroglyphiques n’ont pas été traduits jusqu’ici. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé une étude approfondie de chaque mot hiéroglyphique, pour déterminer les mots-clés techniques, ceux qui sont évidemment difficiles à traduire.

Mots-clés Techniques non traduits par les auteurs précédents :

Mot ‘aa’: C’est le mot “pyramide” traduit par Brugsch, “des tombeaux pour des rois” par Sethe et Barguet et “des palais pour des rois” par Lichtheim. Toutes les traductions montrent que ‘aa’ est le déterminant pour le tombeau royal, c’est à dire la pyramide. Selon Sethe et Barguet, ce mot ‘aa’ est un archaïsme de l’Ancien Empire.

Mot-clé ARI KAT: Ce verbe intervient trois fois. Dans col. 13 et 19, associé aux minéraux, il a été traduit par: “pour travailler avec”; dans col. 20, le Dieu Khnoum “modèle” ou “crée” l’humanité (avec l’argile). La première partie du verbe, ARI, signifie faire, créer, former, modeler, engendrer; la deuxième partie, KAT et l’idéographe “l’homme”, signifie le travail fait par l’homme. L’adjectif, ARI, désigne un matériau artificiel, le lapis-lazuli synthétique par exemple. La meilleure signification pour le verbe, ARI-KAT, pourrait être : traiter, synthétiser, fabriquer.

Mot-clé idéographe RWD: Trouvé dans col. 11, cet idéographe fait partie d’une phrase qui qualifie les matériaux employés pour la construction des temples et des pyramides (col. 11 et 12).
Traduit par Barguet comme la pierre dure, RWD a été discutée en profondeur par Harris (1961) qui expose (p.23) que ”… dans tous les événements, il peut y avoir peu de doute que RWDT soit un terme pour la pierre dure en général, quoique la pierre entre dans une catégorie qu’il est difficile de dire, particulièrement si on fait référence à l’albâtre comme RWDT”.

Généralement, l’élément RWD se rapporte au grès égyptien (INR RWDT non inscrit ici), plus précisément le matériau en pierre trouvé dans les carrières de l’Egypte du Sud et employé pour construire les temples du Nouvel Empire et les Périodes suivantes à Karnak, Luxor, Edfu, Esne, Denderah, Abu-Simbel. Ce matérau, le grès égyptien, est un matériau tendre, qui, parfois, peut être facilement griffé par l’ongle (Rozière, 1801). C’est le contraire d’une pierre dure. C’est deux fois plus tendre que la pierre calcaire de Gizah, quatre fois plus tendre que le marbre de Carrare ou huit fois plus tendre que le granit d’Aswan. Il devient évident que l’élément RWD ne signifie pas la pierre dure.

D’autre part, l’idéographe RWD signifie aussi : germer, grandir et le verbe causatif, S-RWD, faire solide ou lier fortement. Le gravier et le caillou contiennent aussi l’idéographe RWD. Finalement, le grès, quartzite, parfois le granit et d’autres pierres qualifiées avec RWD, sont des pierres solides naturelles résultant de la solidification géologique d’agrégats, comme des particules de quartz ou de sable.

Mot-clé AAT: La colonne 16 donne les différents noms d’AAT. Selon Harris (p.21) AAT doit être considéré comme un mot pour des minéraux et se réfère à des minerais. Dans col. 19, ces minerais sont présentés pour la première fois, rapportant l’invention de la construction avec des matériaux en pierre.

Mot-clé TESH: Le mot composé AAT NEB RWD UTESHAU, à la fin de col. 11 a un intérêt particulier. Barguet traduit : “matières précieuses et pierres dures des carrières”, mais déclare dans une note que sa lecture peut être douteuse en raison de l’écriture étrange de ce mot, dans le hiéroglyphe. Au lieu de TESHAU, Barguet lit SHETI.

La racine TESH a la signification générale de : écraser, séparer, fendre, et le verbe BETESH indique l’action de dissolution, la désagrégation. Une pierre qui est écrasée ou démontée ou séparée, est appelée un agrégat.

Cela nous amène à conclure que le mot RWD UTESHAU indique n’importe quel agrégat naturel, ou un matériau naturellement séparé, comme le matériau érodé et naturellement désagrégé. RWD pourraient être extrapolé comme étant l’idéographe de la description de l’agglomération, ici au commencement du mot, ou de la pierre agglomérée (géologiquement ou synthétiquement) quand mis à la fin.

Si notre supposition est exacte, les matériaux pierreux inscrits en colonne 15 doivent être dans une forme fragile, ou facile à désagréger. Deux noms contiennent la racine TESH, quatre noms ne l’ont pas.

La pierre BEKHEN a été trouvée dans des inscriptions placées dans l’oued Hammamat, dans le désert au Sud-Est d’Aswan et est mentionnée comme étant soit un basalte noir, une diorite, un schiste sablonneux, un porphyre, un greywacke, soit un gneiss psammite (Lucas et Rowe, 1938; Morgan, 1894). Egalement, selon les Inscriptions Hammamat (Couyat-Montet), l’exploitation de BEKHEN à l’Oued Hammamat a été effectuée d’une façon très primitive. Les blocs choisis étaient généralement jetés en bas de la montagne où ils sont arrivés fendus en de nombreux morceaux.

La pierre MTHAY est plus intéressante à discuter. Ce nom semble contenir la racine du mot MAT ce qui signifie le granit. Harris (p.72) est d’accord avec Barguet quand il note qu’il est étrange que le granit n’est pas autrement mentionné dans le texte. Puisque c’était la pierre la plus typique de cette région, il est donc probable que cette forme remarquable d’écriture dissimule MAT, c’est-à-dire le granit. Cependant, à part l’orthographe hiéroglyphique particulière qui arrive dans la Stèle de la Famine, les écritures faisants références au granit contiennent toujours le même hiéroglyphe, la faucille MA, avec des adjectifs différents. Dans col. 15, la lettre ME n’est pas la faucille, mais un oiseau privé de ses ailes et de ses plumes. Cette manière d’écrire la lettre ME doit être trouvée dans le mot MUT, se tuer. Le mot METH signifie aussi mourir. D’autre part, le granit MAT est souvent écrit avec l’idéogramme de coeur, la vie, suggérant l’idée de granit vivant. La supposition, que l’auteur de la Stèle de la Famine a voulu souligner, dans une forme condensée, est que le granit est un matériau érodé, fragile, désagrégé, trouvé dans quelques affleurements géologiques. Il aurait pu aussi essayer de souligner l’idée de granit mort.

Mot-clé AIN: Colone 15 commence par : “Apprenez les noms d’AIN (la pierre)”. Le mot hiéroglyphique pour la pierre solide, pierre de construction et le bloc, est AINR. La majorité de roches solides est appelée AINR, avec un adjectif. Harris ne fait aucune distinction entre AIN et AINR, le mot copte pour la pierre, UN, étant très semblable à AIN. Cependant AINR est essentiellement appliqué à la pierre employée dans la construction. AIN doit être reconnu comme un mot générique pour la pierre, comme une substance, c’est-à-dire un matériau pierreux, en opposition avec d’autres matériaux comme le bois ou le métal.

Mot-clé idéographe: On ne connaît pas la valeur phonétique de cet ideographe; pour le dictionnaire, c’est un déterminant pour l’arôme et l’odeur, mais n’est pas associé aux parfums. Il touche essentiellement aux substances qui distribuent des odeurs, des effluves ou des émanations. Aussi, ces odeurs ne sont pas nécessairement mauvaise et elles ne signifient pas puer. Parfois cet idéographe a été associé à la notion de plaisir.

Trouvé en Colonne 12, il est pour Brugsch un mot pour onguent (“salbe” en allemand). Barguet et Lichtheim ne le traduisent pas employant le terme général “des produits” en rapport avec ceux cités dans col. 11, “aat nb rwd uts3u” les minéraux et pierres.

L’idéographe pourrait représenter une vessie ou un vase contenant un liquide, qui distribue une odeur, mais n’est pas un parfum. Autrement dit, cela pourrait être le déterminant pour le produit chimique. La majorité des produits chimiques ont une odeur caractéristique et les chimistes ont appris comment détecter, reconnaître et associer n’importe quelle odeur particulière. Selon col. 11 et 12, ces produits odorant sont les minerais et les matérieaux en pierre qui sont essentiels pour la construction des temples et des pyramides.

Les études lexicographiques des minéraux antiques font la supposition que leurs noms doivent provenir de leurs couleurs. Ils comptent sur le fait que, dans des noms de gemmes grecs, divers pierres sont étroitement associées à une couleur, par exemple les pierres semi-précieuses contenant la racine chryso, jaune. Des minéraux, des minerais et des matériaux pierreux, montrés dans Barguet, Harris et les traductions de Lichtheim de la Stèle de la Famine, démontrent que ce type de recherche lexicographique n’est pas couronnée de succès. La majorité de noms hiéroglyphiques n’a pas trouvé d’équivalence contemporaine. Nous pensons que, en présentant le concept d’odeur et peut-être plus tard celui de goût, nous suivons simplement les méthodes antiques et classiques de caractérisation de produits chimiques, à savoir la détermination de leur couleur, odeur et le goût.

Les produits ayant une odeur doivent être trouvés dans un texte lié aux Grandes Pyramides. Dans son Livre II, Euterpe, l’historien grec Hérodote relate que les prêtres à Memphis lui ont dit que sur la pyramide de Khéops est “gravée en caractères égyptiens sur la pyramide la somme dépensée pour les ouvriers en raifort, oignons et ail; et la personne qui a interprété ces inscriptions pour moi m’a dit, comme je me souviens bien, que cette dépense s’élevait à mille six cents talents d’argent. (Plus de 100 millions d’Euros de 2001)”. Des images populaires ont copiée cette description et les ouvriers sont décrits comme puant d’ail et l’oignon.

Nous avons prétendu (Davidovits, 1978, 1982) (voir aussi les livres de J. Davidovits ) que cette description touche au coût des expéditions entreprises pour recueillir les minéraux de type arsenate, placés dans les mines de cuivre et de turquoise au Sinaï. Une méthode simple est utilisée en pétrographie pour identifier des minéraux naturels et des minerais est de les chauffer avec une petite flamme. S’il se dégage immédiatement une odeur d’ail, ils appartiennent à la famille des arsenates (arsenate de cuivre ou de fer).

Nous avons regardé les noms hiéroglyphiques de minéraux et de minerais qui pourraient contenir la signification de l’oignon, l’ail et le radis. Nous avons trouvé un représentant pour chacune de ces 3 odeurs :

La pierre d’oignon: Dans col. 15, la “pierre uteshi” se termine par un idéographe qui a été le sujet de discussions. Brugsch lit HEDSH et donne la signification blanche, pendant que Barguet lit différemment et ne traduit pas, tandis que Harris déclare que la lecture doit rester dans le doute. Notre lecture est HEDSH, mais notre traduction est l’oignon. La pierre uteshi pourrait être la pierre qui sent comme l’oignon.

La pierre d’ail: L’ail a été suggéré pour HUTEM et TAAM, c’est-à-dire le mot souche TEM. Dans col. 16, le minerai TEM-IKR pourrait représenter la pierre d’ail, le préfixe KR signifie faible, c’est-à-dire la pierre qui a une faible odeur d’ail.

La pierre de radis: Le radis correspond à KAU et KA-T. Dans col. 16, le minerai KA-Y pourrait signifier “le minerai avec une odeur de radis”.

UTESHUI HEDSH (oignon , gauche), TEM (ail, centre), KA-Y (radis, droite)

La traduction présente les éléments discutés ci-dessus:

(Col. 11): Il y a un massif de montagne dans sa région orientale (à Eléphantine) contenant tous les minerais, toutes les pierres (érodées) écrasées (agrégats appropriés pour l’agglomération), tous les produits
(Col. 12) cherchés pour construire les temples des dieux du Nord et du Sud, les niches pour des animaux sacrés, la pyramide (tombe royale) pour le roi, toutes les statues qui sont debout dans des temples et dans des sanctuaires. De plus, tous ces produits chimiques sont mis devant le visage de Khnoum et autour de lui.
(Col. 13)…est là au milieu de la rivière une place de relaxation pour chaque homme qui traite les minerais sur ses deux côtés.
(Col. 15) Apprend les noms des matériaux pierreux qui doivent être trouvés … bekhen, le granit (érodé) mort, mhtbt, r’qs, uteshi-hedsh (la pierre d’oignon)… prdny, teshy.
(Col. 16) Apprend les noms des minerais rares placés en amont … or, argent, cuivre, fer, lapis-lazuli, turquoise, thnt (chrysocolle), Jaspe, Ka-y (la pierre de radis), le menu, émeraude, temikr (la pierre d’ail), et plus, neshemet, ta-mehy, hemaget, ibehet, bekes-ankh, fard vert, l’antimoine noir, l’ocre rouge…
(Col.18) …a constaté que Dieu étant debout … Il m’a parlé : “je suis Khnoum, Ton créateur, Mes bras sont autour de toi, pour stabiliser ton corps, pour
(Col. 19) sauvegarder tes membres. Je te confère des minerais sur des minerais … depuis la création personne ne les a jamais travaillé (pour faire la pierre) pour construire les temples des dieux ou reconstruire les temples ruinés… ”

La Stèle de la Famine décrit l’invention de construction avec la pierre attribuée à Djoser et Imhotep, les constructeurs de la première pyramide, la Pyramide à degrés à Saqqara (2750 av. J.C.). Selon le texte, cette invention de construction en pierre résulte du traitement de différents minéraux et minerais qui pourraient être des produits chimiques impliqués dans la fabrication de pierre synthétique, ou d’un type de béton.

Stèle de la Famine : Colonnes 11-19 (lire de droite vers la gauche)